jeudi 11 février 2010

Risky Business (1983)


Le décès récent de John Hughes nous a rappelé que le sous-genre dit du "film d'ado" pouvait s'élever au-dessus des comédies ineptes à l'humour pipi-caca-poil. Plusieurs élèvent M. Hughes au rang de père du "cinéma d'ado cérébral" (si je peux le nommer ainsi), mais toutefois, si M. Hughes a popularisé le genre dans les années 1980, il n'en est toutefois pas l'innovateur, car avant les Sixteen Candles (1984), The Breakfast Club (1985) et autres Ferris Bueller's Day Off (1986), il y avait déjà Risky Business (1983), mettant en vedette un tout jeune Tom Cruise pas encore totalement débarrassé de sa graisse d'ado pré-pubère...


Tom Cruise apparaît ici sous les traits de Joel Goodsen, jeune collégien issu de parents hyper-bourgeois d'une banlieue cossue de Chicago. Lorsque papa et maman s'envolent pour des vacances bien méritées sous les Tropiques, Joel en profite pour faire les 400 coups avec les copains de la fac, entre autres une virée avec la Porsche adorée du géniteur. Un soir, voulant relever le défi d'un ami, Joel saisit le téléphone et s'offre les services de Lana (Rebecca De Mornay), escorte de luxe et objet convoitée des fantasmes d'adolescents. Cependant, Lana sera aussi la cause d'une série de mésaventures successives pour le pauvre Joel...

Projet voué à l'échec à l'époque, Risky Business remporta un succès plus qu'inattendu, d'autant plus que Paul Brickman, scénariste et réalisateur, était presque inconnu à l'époque, ayant à son actif seulement deux scénarios pour deux productions (dont un des premiers films de Jonathan Demme, Citizens Band, sorti en 1977) et, de plus, l'univers collégien à l'époque se limitait à d'insipides comédies inspirées néanmoins par le fort drôle Animal House (1978) de John Landis. Ce qui va sans dire que Brickman s'est buté à des refus successifs des studios qui ne voyaient pas d'un bon oeil la comédie douce-amère qu'il avait en tête. Il réussit finalement à trouver le financement auprès du magnat du disque David Geffen (futur patron des studios Dreamworks) pour mener à bien son projet, et le reste fait partie de la légende, comme on dit.

Dès le générique d'ouverture du film, on sent déjà ce qui distincte Risky Business de la routine habituelle des "college comedies". Une mise en scène très stylisée, presque contemplative par moments, soutenue par la trame musicale très ambiante de Tangerine Dream (Sorcerer, Thief), et un script diablement intelligent se voulant un regard critique ainsi qu'un reflet sur l'Amérique reaganienne de l'époque caractérisée par une société obsédée par l'argent et l'appât du gain. Grâce à une écriture habile faisant belle part à des dialogues savoureux et incisifs, en plus de l'utilisation judicieuse du point de vue subjectif, Brickman s'élève d'au moins cinq crans au-dessus de ce qui aurait pu devenir une comédie égrillarde pour ados libidineux.

Tom Cruise (dans sa période pré-scientologie) est égal à lui-même, correct sans plus, jouant parfois un peu trop la carte de l'ado tombeur, mais tire parfois son épingle du jeu grâce à quelques moments où son jeu s'élève d'un cran. Ce film est d'ailleurs celui qui a fait de Cruise une vedette en devenir, grâce notamment à la célèbre "underwear scene" où celui-ci chante en petite tenue à l'unisson sur la chanson "Old Time Rock 'n' Roll" de Bob Seger, faisant de lui automatiquement la nouvelle "teen idol" du moment, cela avant que Top Gun le concrétise finalement au rang de superstar. Cependant, la galerie des personnages secondaires offre un tableau encore plus intéressant. Rebecca De Mornay (The Hand That Rocks The Cradle) trouve déjà ici à sa première apparition sur les écrans son meilleur rôle dans la peau de la mystérieuse call-girl, elle qui n'a pas réellement tenu ses promesses par la suite. Mentions spéciales aussi à Curtis Armstrong et Bronson Pinchot ainsi qu'une apparition drôlatique et remarquée du sous-estimé Richard Masur (The Thing, License To Drive) en recteur d'université. Par contre, la palme est remportée par Joe Pantoliano (The Fugitive), complètement loufoque dans le rôle de Guido, le souteneur de Lana.

Curieusement, malgré le succès remporté par son premier film, Paul Brickman se fit plutôt rare par la suite, avec seulement un autre film comme réalisateur (Men Don't Leave) tourné 1989 et ayant passé presque inaperçu, et quelques rares contributions comme scénariste (Deal Of The Century, True Crime) pour des productions n'ayant pas laissé d'impérissables souvenirs dans les mémoires. Il aura toutefois laissé sa marque avec ce film qui aura lancé une tendance cinématographique caractéristique des années 1980.

Infos DVD : Warner a récemment mis sur le marché (en 2008) l'édition 25ème anniversaire du film, incluant comme suppléments une piste de commentaires audio du réalisateur Paul Brickman accompagné de Tom Cruise ainsi qu'un petit "making-of" du film où les membres de l'équipe se livrent à une série de réflexions et d'anecdotes teintés de nostalgie. Le tout manque légèrement d'esprit critique avec un ton quelque peu trop complaisant, mais néanmoins, le tout se consomme assez bien.

Surveillance (2008)


Fille du vénéré David Lynch, Jennifer Chambers Lynch avait déjà tenté de suivre les traces de son illustre père avec le très médiocre Boxing Helena (1993), qui avait surtout fait parler de lui à l'époque alors que la production avait défrayé la chronique suite à une bataille légale entre les producteurs et Kim Basinger, qui avait décidé de briser son contrat in-extremis après lecture approfondie du scénario sulfureux qu'elle n'appréciait pas du tout. Basinger finalement remplacé par Sherilyn Fenn (visage connu de l'écurie lynchienne avec un rôle récurrent dans la télésérie Twin Peaks et une apparition mémorable dans Wild At Heart), le premier film de Mlle Lynch est maintenant surtout resté dans les mémoires pour ses excès outranciers lui ayant octroyé un statut de film culte à la saveur psychotronique.

Quinze ans plus tard, Jennifer Lynch refait surface avec Surveillance, sombre road movie à la saveur glauque empruntant beaucoup à l'univers de papa. J'avoue m'y être aventuré avec méfiance, ayant subi le cas Boxing Helena de visu et n'en ayant pas gardé de bons souvenirs. J'en suis toutefois sorti agréablement surpris.

Avec une intrigue simple (avec un dénouement cependant complètement inattendu) empruntant beaucoup à la fois à Wild At Heart, Twin Peaks et Lost Highway, le script de Kent Harper (co-rédigé avec Lynch) suit les traces de deux agents du FBI enquêtant sur une série de meurtres perpétrés par un mystérieux tueur en série dans les environs de ce qui semble être un bled du Nouveau-Mexique. Sans emprunter la voie des excès dérivatifs de son père avec une trame narrative très linéaire, Lynch fait montre ici d'une mise en scène beaucoup plus sûre et contrôlée, des séquences très bien construites et surtout une excellente direction d'acteurs, un élément qui manquait gravement à son premier film.

Il faut dire que Lynch dispose d'une excellente distribution, Bill Pullman (Lost Highway) en tête et qu'on a pas vu depuis des lustres, et Julia Ormond (Legends Of The Fall) dans un rôle à des lieues des rôles romantiques qu'elle se voyait fréquemment attribuer dans les années 1990. Soulignons aussi l'apport solide du canadien Michael Ironside (Scanners) en chef de police dépassé par les événements; le scénariste Kent Harper, hilarant dans le rôle d'un ripoux totalement barjo, et la jeune Pell James (Zodiac), impayable en jeune junkie délurée.

Sans être à la mesure des oeuvres de David Lynch, Surveillance n'en demeure pas moins fort sympathique et montre qu'après un faux départ, de prometteuses choses augurent à l'horizon pour Jennifer Lynch. Serait-ce grâce à la présence de papa Dave à titre de producteur ? On verra...